En réunissant le 14 juin dernier, en présentiel plus de 50 personnes, sur le thème des expulsions locatives en partenariat avec la Fondation Abbé Pierre, les « Rencontres d’Un Toit pour Tous » confirment leur vitalité et l’intérêt des thèmes abordés.
« Éviter aux personnes de se retrouver à la rue est un enjeu de taille ». C’est ce que rappelle en introduction Véronique Gilet, déléguée de la Fondation Abbé Pierre Région Auvergne Rhône-Alpes, en pointant trois constats alarmants :
- être expulsé de son logement constitue une vraie rupture dans une trajectoire de vie, rupture dont les effets sont multiples et durables ;
- on constate, chiffres à l’appui, de plus en plus d’expulsions sans relogement, y compris pour des familles avec des enfants en bas âge. Effet de « rattrapage » après le ralentissement des expulsions pendant la période Covid devant lequel il faut rester en alerte ;
- enfin, la prévention des impayés et des expulsions semble aujourd’hui un peu moins mobiliser les acteurs. Les retours se font le plus souvent sous forme de réponses qui restent expérimentales, donc incertaines, durant des années. On peut s’inquiéter d’une disjonction croissante entre les ménages et les dispositifs existants.
Les points névralgiques de la prévention des expulsions en Isère
L’Observatoire de l’hébergement et du logement (OHL) qui a étudié la situation actuelle (lire la synthèse ici) en relève plusieurs :
– le peu de place faite aux ménages pour exprimer leur point de vue alors qu’ils sont fortement appelés à se mobiliser. Mais les impliquer demande des pratiques et des moyens d’intervention spécifiques. De plus il y a inégalité entre les locataires du secteur social, plus regroupés, et ceux du secteur privé ; la situation de ces derniers est, du reste, plus difficile à identifier et souvent plus dégradée.
– des dispositifs très nombreux, enchevêtrés, mais surtout souvent expérimentaux et différents selon les territoires entrainant inégalité et illisibilité pour les ménages.
– des acteurs de cultures professionnelles très différentes dont la coordination est fondamentale. Or leurs relations reposent plus sur les relations inter-personnelles qu’inter-institutionnelles.
– le point crucial du relogement quand l’expulsion va à son terme. La coordination des acteurs est là aussi déterminante. Les personnes sont souvent obligées de trouver des solutions par elles-mêmes ; si cela révèle des solidarités encore vivaces, on peut s’interroger sur la nature et la qualité de ces solutions personnelles imposées par les circonstances.
– les évolutions législatives contenues dans la loi Kasbarian sont source d’inquiétudes pour les professionnels dans un cadre d’action déjà difficile.
Des réponses encourageantes de trois des nombreux acteurs qui se mobilisent en Isère
– à l’Union départementale des associations familiales l’accent est mis sur l’« aller vers »(1). Intervenir le plus en amont possible afin d’éviter la dégradation des situations est gage de réussite. En général, les ménages sont soulagés et reconnaissants de cette « perche tendue », surtout quand le lien est difficile ou rompu avec leur bailleur. Le même accompagnant assure le soutien tout au long de la démarche et le dispositif de conciliation aboutit souvent à un accord amiable, évitant la procédure d’expulsion.
– le bailleur social PLURALIS a un « Service solidarité et contentieux » (binôme travailleur social / gestionnaire) qui intervient dès la première lettre pour impayé. De multiples réponses sont mobilisées : rendez-vous tripartite, conciliation, commissions avec le locataire, mutations.
– le service départemental (co-porté avec l’État) du PAHLDI (2) a mis en place une commission pour coordonner et évaluer les actions engagées par les différents acteurs de manière à forger une culture commune et à former et informer les intervenants (la CCAPEX) (3).
Associer les locataires à la réflexion et développer une démarche adaptée pour aller vers les locataires et les propriétaires du parc privé sont au cœur des préoccupations du PAHLDI.
La charte de prévention des expulsions donne un cadre collectif à l’engagement de tous pour intervenir le plus précocement possible, avant la résiliation du bail, en favorisant les mutations intra et inter-bailleurs et en soutenant les actions pro-actives d’ »aller-vers ».
De nombreuses interventions des participants
Pour confirmer les constats énoncés précédemment et évoquer les composantes structurelles à la racine des risques d’expulsion (prix excessif du logement et de ses charges, « grippage » de la chaîne hébergement – logement par absence de solutions de sortie etc.)
Des pistes de réflexion et des attentes :
– soutenir les associations au plus près des ménages ;
– renforcer encore la place des ménages dans la procédure, même si l’Isère est plutôt en avance dans ce domaine ;
– étudier les trajectoires des ménages expulsés, pour mesurer les effets de l’expulsion et identifier les solutions qu’ils ont mobilisées ;
– favoriser les mutations inter-bailleurs, fondamentales pour éviter les impayés ;
– réfléchir au partage du risque financier de dispositifs sous-utilisés, comme le bail glissant ;
– utiliser les indemnisations de l’État (quand il n’y a pas de recours à la force publique) au relogement des ménages ;
– généraliser les arrêtés municipaux de non mise à la rue, comme à Grenoble.
Les participants ont convergé sur la nécessité de travailler ensemble sur ce diagnostic pour élaborer collectivement les réponses et les fonctionnements les plus pertinents.
Notes :
(1) » Se mettre à l’écoute et à niveau des ménages et des problèmes qu’ils expriment, pour se comprendre, sans juger ».
(2) Plan d’action pour l’hébergement et le logement des personnes défavorisées en Isère
(3) Commission spécialisée de coordination des actions de prévention des expulsions locatives